Jour 17 – Un Saint et un ancêtre – 15 décembre
Sainte Victoire
Vers 253, Martyre à Rome, fiancée à un païen. Ne voulant ni se marier avec lui, ni offrir des sacrifices aux idoles, elle s’offrit en sacrifice pour le Christ et fut percée par le bourreau d’un coup d’épée, à la demande de son fiancé. (1)
Une ancêtre de douceur et de force
Voilà donc le petit appel du pied que me faisaient Victoire, mes deux arrière-grand-mère depuis le début de cette série. J’ai déjà tellement parlé d’elles que je ne vais pas dérouler la liste des ancêtres, mais plutôt vous raconter les quelques souvenirs que j’ai de l’une d’entre elles et qui sont d’un autre siècle. C’est là que je prends un immense coup de vieux, tant il y a de dissonances entre cette période et la période actuelle.
Victoire ROBLAIN – source familiale
Victoire ROBLAIN de son nom complet Marie Catherine Victoire ROBLAIN * est née en 1881 à Gennevaux, Luxembourg, Belgique, elle épousa Emile NICOLAS * en 1910 à Léglise, commune voisine de Gennevaux.
C’est son père Pierre Joseph ROBLAIN cultivateur (1842-après 1912), unit à Marie Marguerite NOËL , qui privilégia le prénom de Victoire, car il clamait haut et fort, qu’il avait sa Victoire, mentionnant ainsi le conflit Franco-Prussien de 1870 et son soutien à la France.
Dans un premier temps la France belligérante et ses soldats de l’Empire fut défaite par les Prussiens qui la soumit progressivement jusqu’à Paris. Le traité de Versailles en janvier 1871 fit passer l’Alsace et la Lorraine vers l’Allemagne et le 1er mars l’Armée occupante défile sur les champs Élysées. La défaite est cuisante pour la France et restera dans la mémoire collective jusqu’aux évènements de 1914.
Pierre Joseph ROBLAIN, qui lisait le journal et suivait les actualités de près, ne vivra peut-être pas cette guerre, sa date de décès reste encore cachée dans les archives.
Victoire est donc mon arrière-grand-mère maternelle, elle a été la marraine de ma mère et lui à donc donné son troisième prénom en héritage. Elle fait partie intégrante des souvenirs que ma mémoire a gardé de ma plus tendre enfance. Je ne sais si c’est par la proximité que nous avions, mais il est surprenant de garder une telle mémoire des détails qui l’entoure.
Lorsque sa fille Lucie et son gendre décidèrent d’acheter une maison en 1952, ils y emménagèrent avec leurs enfants dont l’aînée ma mère avait à peine 15 ans. La maison comportait tant d’espace qu’ils firent venir Victoire et c’est là qu’elle finit des jours heureux. Vivre ensemble dans une grande maison, ne révèle pas les mêmes contraintes que de vivre dans vingt mètres carrés. Chacun avait son espace personnel et les pièces communes étaient remplies du mouvement des femmes toujours à l’ouvrage.
Mon grand-père était artisan, la table de midi était entourée des ouvriers qui venaient participer au repas s’ils le pouvaient ce qui faisait une dizaine de personnes à la table de la cuisine dont les repas commençaient toujours par une prière de remerciement.
Le travail des femmes était continu et depuis que je tiens ce blog, je trouve qu’on ne leur rend pas assez hommage en égrenant la généalogie, car on cite pratiquement tout le temps les métiers masculins et elles passent au second plan comme invisibles parmi les invisibles, hors les femmes apprenaient à “tenir une maison”.
Tenir une maison
C’est tout un art que l’on enseigne aux petites filles depuis la toute prime enfance. Cela passe en sourdine et tout le monde trouve cela normal, mais qui aurait l’idée d’apprendre le métier de forgeron à un enfant de deux ans ? On crierai au scandale et au danger et pourtant, la sécurité d’une petite fille dans une buanderie ou dans un atelier de couture n’est pas remise en question.
Les actions quotidiennes des femmes de ces époques étaient réparties entre la préparation des repas pour la communauté et les travaux domestiques. Certains matins étaient plus chargés que d’autres comme les jours de lessive et de repassage. La buée s’échappaient des chaudrons bouillonnant sur les feux, Victoire en longue robe noire, brassant les draps pour les faire bouillir, Lucie en robe plus courte, transbahutant ces draps chargés de liquide dans une bassine afin de les rincer et ma mère passant le linge dans l’essoreuse. Les trois femmes de trois générations, tenant les lourdes panières d’osier pour les mener au jardin et les faire sécher. Ces images sont imprimées dans ma rétine, l’odeur de la lessive de Marseille et du linge bouilli est reconnaissable entre mille.
Il y a tant d’autres choses qui ont été transmises ainsi et sans doute, feront-elles l’objet d’un article un jour, elles sont tant de labeur et de sueur qu’elles pourraient paraître si difficiles, alors que c’était la normalité de l’époque. C’était un temps où les machines à laver commençaient à peine à faire leur apparition et tant de « conforts » qui ont amélioré la vie des femmes.
L’autre partie de la journée était réservée à des tâches plus faciles, le repas terminé, la vaisselle étant rangée et après une courte sieste, les femmes se remettaient à l’ouvrage, car il faut s’occuper. Cette injonction est dominante.
“Des mains immobiles sont des mains inutiles”.
Ce dicton régnait en maître dans la maison. C’était alors le temps des ouvrages de couture, tricot, crochet et toutes les possibilités voulues. L’époque de la création, de la réfection des vêtements ou de leur transformation. Rien n’était jeté ou perdu tout était transformé. Ces moments étaient partagés en famille, les enfants autour des femmes souvent assis sur des petits sièges de bois. Les visiteuses étaient les soeurs et belles-soeurs de Lucie, les cousines, les tantes venues qui pour un morceau de tissu, qui pour un restant de cette laine qui leur manquait ou encore pour prendre note de la dernière recette de tarte aux prunes ou se poser là avec son ouvrage et parler. Jamais les mains ne s’arrêtaient lorsque les mots sortaient de la bouche des femmes. Elles étaient téléguidées par la connaissance apprise depuis les années de leur jeunesse. Si l’une buttait et perdait le fil de son ouvrage, elle était ralliée gentiment des méfaits de l’amour. Victoire était la maîtresse de cette connaissance, elle avait elle-même une grande pratique et excellait en la matière. Elle avait envoyé ces trois filles, apprendre la coupe et la couture, elle avaient appris le métier à l’école en plus de la maison, mais elle restait la source du savoir, la délicieuse connaissance.
Cette femme en chignon relevé, portait une longue robe de satin noir depuis des années, j’avais la charge d’aller la chercher à l’étage pour lui annoncer que le repas était prêt. Si petite, après avoir gravi l’escalier en m’accrochant à la rampe, je frappai à sa porte, elle répondait sans l’ouvrir et je me dépêchai de filer et de redescendre l’escalier, puis de me cacher dans un recoin et de l’attendre. Je guettais ses pas sur le plancher de chêne, le glissement de ses semelles et j’attendais alors le bruissement du tissu sur ses jambes dont le mouvement me fascinait. La jupe de satin luisant remontait et emmenait avec elle les jupons noirs du dessous, formait une vague qui répandait le mouvement à l’ensemble, chaque pas reproduisait le même mouvement au son si doux comparé à l’arrivée du pied sur le bois et cela s’arrêtait au moment du bruit plus mat du chausson sur le carrelage. Mon arrière-grand-mère faisait alors semblant de ne pas m’avoir vue et lorsque je poussais un petit cri pour l’effrayer, elle faisait un sursaut en riant. Cette complicité se retrouvait dans tous ces gestes quotidiens.
Je pourrais encore vous raconter des souvenirs de ce temps qui ressemble tellement à la fin du 19e siècle, un époque si lointaine que j’ai entrevue enfant et qui n’existe plus du tout. Née après le milieu du 20e siècle, j’ai pu observer d’autres moments de libération des femmes et je ne cesse de penser que l’on ne leur rend jamais assez hommage. Qu’il est bien difficile encore aujourd’hui de faire la part des choses entre les obligations et les contraintes qu’ont les femmes et les moments où enfin elles peuvent penser un peu à elles.
Victoire, c’est éteinte en 1960 elle a “oublier de respirer”, j’aurais aimé la garder encore près de moi. Elle reste dans mon souvenir et j’ai eu la chance d’être aimée. A écrire cet article, j’ai l’impression d’avoir cent ans et pourtant je ne suis pas encore retraitée. Quelle différence entre ces périodes de temps !
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